Le livre de Booba

Nous sommes très heureux.ses de vous annoncer que Bouba, un jeune accompagné par Maât depuis 3 ans a écrit un livre illustré, qui va être imprimé en une centaine d’exemplaires avec le soutien de Maât. Ecrivez-nous pour vous en procurer un – ou pour contribuer à l’édition de ce très beau livre !

A très bientôt ! On vous laisse avec le discours de Bouba :

Quelques sorties récentes

Avec les jeunes, nous poursuivons les sorties parisiennes le week-end, à la piscine, à l’escalade, sur le terrain de foot, au musée, au théâtre. Parce que c’est une façon de respirer ou du moins d’essayer de sortir de l’apnée. Parce qu’il faut se donner le droit de voir autre chose que la poussière, le gris de la rue, les formulaires de préfecture, les procédures les bureau les contrôles les regards baissés. Parce que c’est une façon de sortir de soi, un prétexte à l’échange, une occasion de se parler, se rencontrer, s’élever, penser. Parce qu’« on manque d’oxygène, de santé, de paix, on manque de liens vrais, de justice et de joies », et « peut-être d’ailleurs qu’on ne parle que pour respirer, peut-être qu’on parle uniquement pour que ce soit respirable ».

Nous avons cette année encore pu faire profiter les jeunes de Maât de nombreuses activités organisées par le Point Fort d’Aubervilliers. Nous remercions en particulier Alice pour son engagement à nos côtés. Nous avons beaucoup apprécié le repas partagé au soleil, ainsi que les activités danse et musique auxquelles les jeunes ont participé avec beaucoup d’enthousiasme. Nous y avons également vu plusieurs concerts de musique du monde, nous gardons en mémoire notamment une merveilleuse soirée de musique congolaise.

Nous avons aussi cette année encore pu emmener une quinzaine de jeunes voir le Cirque du Soleil, un spectacle à couper le souffle.

Nous travaillons toujours main dans la main avec le Refettorio, un restaurant solidaire situé dans la crypte de l’église de la Madeleine, dont Maât partage les valeurs. Tous les soirs, ce lieu offre un service de restauration pour les personnes en situation d’exclusion et de précarité, en transformant des ingrédients provenant de surplus alimentaire – qui seraient sinon gaspillés – en de délicieux plats. Nous ne les remercierons jamais assez d’accueillir très régulièrement des groupes de jeunes de Maât et de leur permettre aussi de participer aux activités artistiques organisées. En effet, le Refettorio n’est pas seulement un projet de charité, mais surtout et avant tout un projet culturel. Il s’agit de créer un espace chaleureux, accueillant et inspirant en impliquant des artistes, architectes et designers afin que les personnes en situation d’exclusion se sentent considérés.

Une sortie au musée Bourdelle pour les journées du patrimoine

Le samedi 20 septembre, pour les journées du patrimoine, un groupe de jeunes a pu visiter le musée Bourdelle et bénéficier à cette occasion des précieuses explications d’étudiant.e.s de l’Ecole du Louvre. C’était l’occasion de découvrir les différentes étapes de la fabrication de ces sculptures monumentales, depuis le dessin d’ébauche en passant par la fabrication des moulages. Cela nous a aussi permis de nous replonger ensemble dans la mythologie, de Pénélope qui défait sa tapisserie toutes les nuits aux exploits du héros Héraclès. Mais les bâtiments étaient aussi l’atelier du sculpteur lui-même, ainsi que son lieu de vie, ce qui permet aussi de rentrer dans l’intimité de l’artiste et de se le représenter au travail. Le musée abrite aussi quelques oeuvres de Cléopâtre Sevastos, la seconde femme du sculpteur, ce qui a donné lieu à une belle discussion sur la place des femmes dans l’art, les rapports genrés…

Nouveaux projets à Tourteron

Cette année encore, les séjours à Tourteron nous ont bien occupé.e.s de mars à novembre. La maison a pu accueillir 102 jeunes, au fil de 22 séjours de 5 à 6 jours. Nous sommes plus que jamais convaincu.e.s de la nécessité de repenser l’accueil et le rapport à l’autre : la violence n’est pas un accueil, l’interrogatoire de police n’est pas un échange. Il nous faut revenir à l’humain, il nous faut considérer autrui, pour reprendre un terme cher à Marielle Macé.

Ce n’est que dans la rencontre et la reconnaissance de l’autre, en tant qu’il préexiste à moi-même, que se révèle la possibilité de la vraie hospitalité, de l’hospitalité comme joie. « Autrui qui se révèle précisément – et de par son altérité – non point dans un choc négateur du moi, mais comme le phénomène originel de la douceur », écrit Levinas.

L’hospitalité, avant d’être une pensée est un acte. Un pur événement. Entre et sois le bienvenu, toi que je ne connais pas. L’hospitalité, comme le pardon, s’adresse inconditionnellement. Elle décrit, plus qu’une figure, un espace où cet acte d’invitation peut avoir lieu.

Tourteron se veut un refuge où les jeunes peuvent se ressourcer. S’abriter, se reposer, se nourrir, créer, communiquer et partager. Jouir d’une parenthèse de sérénité. Une halte, un lieu et un moment pour se couper de la frénésie du quotidien et de la dureté de la rue. Un moment de répit et d’apaisement. Un moment pour se retrouver. Soi. Les autres. Parce que ces mots d’Hannah Arendt en 1943 pourraient être ceux des jeunes.

Nous avons perdu notre foyer, c’est-à-dire la familiarité de notre vie quotidienne. Nous avons perdu notre profession, c’est-à-dire l’assurance d’être de quelque utilité en ce monde. Nous avons perdu notre langue maternelle, c’est-à-dire nos réactions naturelles, la simplicité des gestes et l’expression spontanée de nos sentiments.

Nous voulions refaire nos vies, un point c’est tout. Or cela suppose une certaine force et une bonne dose d’optimisme : nous sommes donc optimistes.

Nous avons cette année particulièrement axé les séjours sur le thème de l’écologie. Les jeunes ont pu visiter le domaine de Venderesse, où iels ont découvert toute l’histoire locale de l’industrie métallurgique, et appris beaucoup de choses sur la façon dont fonctionnent les énergies. Didier et Joëlle, les apiculteurs du village, nous ont emmenés visitervisité les ruches. Zouzou et Thibault, les voisins qui sont des soutiens locaux importants de Maât, nous aident pour la mise en place du projet permaculture. Nous sommes allé.e.s cet automne acheter des arbres fruitiers pour le jardin.

Pour ce qui concerne la maison, un donateur particulier très généreux va nous permettre de changer. Les entrepreneurs sont également venus cet été pour commencer les travaux d’isolation. Nous remercions tous les donateur.ice.s petit.e.s et grands pour leur aide, ainsi que la fondation Rothschild et le fonds Riace, qui continuent de nous soutenir, dans une période où il est de plus en plus difficile pour les associations d’être financées. Il nous manque encore “un peu” d’argent pour l’isolation de la maison, et vos dons sont toujours évidemment les bienvenus.

Quelques paroles de jeunes

« A Paris même si on est hébergés dans le même centre, la même chambre, on ne se parle pas. Ici on a l’impression d’être un peu une famille. »

« Ici au village on est enfin reconnus, on nous dit bonjour, on nous salue, on retient nos prénoms. Il y a même une dame qui m’a donné des noix. »

« Moi je veux dire merci à Zouzou et Nathalie, on a été invités à manger des gaufres et à jouer aux fléchettes, c’était cool ! »

Le témoignage d’Isabelle, 14 novembre 2025 : Accompagner les jeunes en séjour à Tourteron : une belle expérience en tant que volontaire !

J’ai eu l’occasion d’accompagner cette année un groupe de cinq filles et un autre de quatre garçons, à Tourteron. Les journées se passent entre jeux de société, musique, confection et prise des repas, promenades autour du village, travaux au jardin et sorties variées : baignade au lac, visite des ruches, cueillette des pommes, et bien d’autres choses !

J’ai pris plaisir à accompagner les jeunes dans leur découverte de la campagne française, en compagnie de Félicie et de Nathalie, qui habite Tourteron et apporte tous les jours sa bonne humeur et sa fantaisie au groupe. Il est facile de proposer des activités aux jeunes qui sont souvent partants.

Mais le plus précieux dans cette expérience de cinq jours, c’est que les moments de vie partagés et les nombreuses discussions permettent de tisser un lien de confiance avec les jeunes, qui s’ouvrent donc beaucoup plus qu’en sortie. Les échanges sont ainsi approfondis et les rires fréquents.

Je recommanderais donc Tourteron aux volontaires qui voudraient avoir avec des jeunes des échanges plus profonds et nourris de moments de vie partagés.

Quelques nouvelles de Maât

Optimistes et pleins d’énergie, comme toujours, mais la langue de bois n’est pas dans les habitudes de Maât. Si ces derniers mois ont vu nos différents projets avancer – chacun à leur rythme, certains sont en germe, ou bien lancés, d’autres aboutissent déjà à de beaux résultats -, nous faisons face à une situation difficile et des conditions loin d’être idéales pour poursuivre nos activités.

Les délais d’attente dans la procédure de reconnaissance de minorité ne font que se rallonger, et ils sont bien loin les quelques mois qui nous paraissaient déjà une éternité : les jeunes doivent maintenant attendre plus de deux ans avant d’être convoqués pour le recours, et on ne parle même pas de celleux qui doivent ensuite faire appel…

« L’incertitude est de tous les tourments le plus difficile à supporter », nous disait déjà Musset, et ses conséquences pèsent lourd pour ces adolescents qui ont besoin de prendre leurs marques, de construire des liens, d’un ancrage solide leur permettant ensuite de s’ouvrir et de découvrir le monde. Tout stress crée une perturbation de l’équilibre, et suppose un travail sur soi et avec les autres pour retrouver l’équilibre antérieur ou en atteindre un nouveau. Le stress permanent renverse tout autant qu’il paralyse, il empêche de vivre, de penser, il est à la fois chaos et arrêt sur image, et ses conséquences sont effroyables, à court et à long terme.

S’ajoutent à cela les difficultés matérielles majeures auxquelles font face les jeunes, et que les volontaires de Maât constatent tous les jours sur le terrain.

Il y a quelques mois encore, la plupart des jeunes participant aux activités de Maât par le biais de nos associations partenaires avaient une solution d’hébergement, fût-elle temporaire. Désormais, ce sont des jeunes qui ont passé la nuit dehors que nous retrouvons pour une matinée d’escalade ou une promenade au Louvre, des jeunes dans un état physique qui ne devrait être celui d’aucun enfant, d’aucun être humain. Ce ne sont plus seulement les primo-arrivant.e.s qui passent quelques jours, semaines dehors, ce sont des jeunes qui sont à Paris depuis plusieurs mois, années, qui sont à la rue, souvent même sans tente. Même les distributions de nourriture deviennent compliquées, et Prévert nous revient en mémoire,

Elle est terrible aussi la tête de l’homme
La tête de l’homme qui a faim
Quand il se regarde à six heures du matin
Dans la glace du grand magasin
Une tête couleur de poussière
Ce n’est pas sa tête pourtant qu’il regarde
Dans la vitrine de chez Potin
Il s’en fout de sa tête l’homme
Il n’y pense pas
Il songe
Et il remue doucement la mâchoire
Doucement
Et il grince des dents doucement
Car le monde se paie sa tête
Et il ne peut rien contre ce monde
Et il compte sur ses doigts un deux trois
Un deux trois
Cela fait trois jours qu’il n’a pas mangé
Et il a beau se répéter depuis trois jours
ça ne peut pas durer
ça dure

Et de même pour les jeunes, la faim, le froid, l’attente, ça ne peut pas durer… et ça dure. « La vie mérite uniquement d’être vécue parce que nous espérons qu’elle ira en s’améliorant et que nous finirons tous par rentrer chez nous sains et saufs », mais comment continuer à y croire ?..

La semaine dernière, après une visite de l’expo sur Kandinsky à la Philharmonie, un cookie dans une main, une compote dans l’autre, son cahier d’écriture et un roman dans son sac, Rémond nous dit : « Moi j’aime les chansons de Keny Arkana, il y a cette chanson “la rue est à nous” où elle parle des SDF, ça m’a touché parce qu’elle parle de nous » – nous, des adolescents de 15 ans : mais dans quel monde vit-on ?..

Sans papiers humiliés par les gardiens du chaos
Compagnies aériennes complices de la nouvelle gestapo
Trop de collabos pour les charters de la honte
Fichage ADN, coup et blessures, et déportations
Expulsés de nos centres-villes, expropriés de nos droits
Ça dort dans la rue, supporte tous les malheurs
Pendant que des bâtiments sont vides, dorment pour prendre de la valeur
Ça expulse des familles, des vieux des enfants
Entre cars de CRS et caméra de surveillance
Quelques années ont suffi pour aseptiser nos ruelles
Apartheid social et culturel
Aujourd’hui les fachos s’affirment, aiment nous humilier
La ville n’est plus au peuple mais aux marchands d’immobilier
Fonds spéculatifs, les appétits deviennent tarés
Depuis que la guerre aux pauvres est déclarée
Expulsés de nos villes, comme expulsés de nos vies

C’est pour ces jeunes expulsés de leur vie avant qu’elle ait même eu le temps de commencer que nous tenons debout, et debout malgré tout. Libération titrait le mois dernier : « En France, un quart des associations de solidarité sont menacées de disparition », et c’est le moins qu’on puisse dire. Nous constatons tous les jours la dégradation des conditions auxquelles doivent faire face les associations pour mener à bien leurs activités.

Nous remercions donc vivement les associations partenaires, avec lesquelles nous travaillons pour certaines depuis des années, pour d’autres depuis peu, Médecins du Monde, la Halte humanitaire de l’Armée du Salut, Médecins sans Frontières, Droit à l’École. En cette période très rude socialement et politiquement, il est plus que nécessaire de continuer à travailler ensemble et de consolider l’écosystème associatif, et de se soutenir.