Maât dispose d’une maison à Tourteron, dans les Ardennes, avec une chambre pour les jeunes, une pour les volontaires et des espaces communs : la cuisine, la salle à manger et le jardin. Depuis 2021, de mars à novembre, nous organisons des séjours pour des groupes non-mixtes de 4 ou 5 jeunes, le temps d’un week-end ou des vacances scolaires.
Repenser le vivre ensemble
Notre maison se veut une initiative citoyenne d’hospitalité.
Si l’hospitalité est l’une des valeurs et des lois fondatrices de toute civilisation depuis l’Antiquité, elle se trouve mise à mal dans nos sociétés contemporaines fondées sur l’économie, le contrôle et la productivité. C’est à cette pratique consistant à accueillir l’autre comme il est et sans interrogatoire que nous souhaiterions revenir. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de cadre ni de règles, mais que ceux-ci sont co-construits.
C’est à travers l’aménagement et la vie dans la maison de Tourteron que nous nous interrogeons collectivement et de façon critique sur ce que signifie l’accueil. Nous sommes convaincus qu’il ne s’agit pas de demander à l’autre de venir vers nous et de se plier à nos règles.
C’est pourquoi les jeunes participent à toutes les prises de décision, tant en ce qui concerne la vie quotidienne, l’établissement des menus et le choix des activités, qu’en ce qui concerne la mise en place de projets de plus grande envergure : la mise en place d’un jardin permacole notamment.
Dans notre association et en particulier dans la maison de Tourteron, le vivre ensemble s’imagine avant tout autour d’une table dans la cuisine, la bêche à la main au jardin, autour de l’arbre à Palabre ou au coin du feu avec une tisane.
Accueillir l’autre au sens fort n’est pas chercher à le contrôler, à maîtriser sa vie, à s’approprier sa culture – autrement dit la violence n’est pas un accueil. Il faut accepter de le rencontrer vraiment. Nous pensons, comme l’affirmait Jacques Derrida, que « l’hospitalité, c’est la culture même et [que] ce n’est pas une éthique parmi d’autres. » : elle implique un rapport au chez-soi, à un lieu familier dans lequel on se sent en sécurité.
Créer un refuge
Nous cherchons à faire de la maison à Tourteron un refuge où les jeunes peuvent se ressourcer. S’abriter, se reposer, se nourrir, créer, communiquer et partager. Jouir d’une parenthèse de sérénité.
La maison de Tourteron se veut une halte, un lieu et un moment pour se couper de la frénésie du quotidien et de la dureté de la rue parisienne. A Paris, le quotidien des jeunes est marqué par l’urgence, l’hypervigilance et la crainte. La procédure qu’ils doivent suivre pour être scolarisés et intégrés en France est incertaine, insécurisante et angoissante, et nous voudrions leur permettre de sortir un moment de cette errance et de l’urgence permanente, de la peur, de la faim et du froid. Cette maison de campagne représente pour eux une bouffée d’air, un moment de répit et d’apaisement.
Les effets en sont à la fois psychologiques et physiques. C’est un soin que nous voulons apporter en premier lieu aux jeunes.
L’instabilité qui est la leur à Paris et dans les grandes villes ne leur permet pas de se construire comme individus – ce sont des adolescents – et de prendre le temps de construire un avenir.
L’art, la culture et la nature
Nous sommes fermement convaincus que l’intégration passe aussi par l’art et la culture. Tant les activités parisiennes que nous mettons en place par ailleurs, que les séjours à Tourteron sont orientés selon cette conviction.
À Tourteron il s’agit de mettre en place différents ateliers lors des séjours : des activités en extérieur (découverte du village et des exploitations agricoles, jardinage), des activités physiques (activités sportives, vélo, promenades), des activités créatives (cuisine, peinture, théâtre), des activités éducatives : (ateliers histoire et éducation civique, visites culturelles guidées).
Le premier adjoint au maire notamment vient rendre visite aux jeunes à chaque séjour afin de leur expliquer le fonctionnement de la République française. Il s’agit pour nous de redonner son sens fort à la res publica, la chose publique : non d’inculquer verticalement de grands principes, mais de susciter des discussions sur ce qu’est une société juste, l’importance de l’égalité, le respect d’autrui.
Ce lieu en pleine nature permet de reconnecter les jeunes à un environnement dont ils sont privés en région parisienne. La présence d’un terrain autour de la maison a suscité l’envie chez les jeunes d’en faire quelque chose, et nous travaillons avec eux à mettre en place un jardin permacole.
Les ateliers doivent être l’occasion de découvrir de nouvelles activités, et par là d’élargir leur horizon et de provoquer une ouverture d’esprit, mais aussi de leur permettre de se découvrir des compétences, dans différents domaines : jouer, cuisiner, jardiner, bricoler, peindre, coudre.
Tout cela doit leur permettre de trouver leur place. De ce point de vue là, les activités de création collective sont essentielles, dans la mesure où chacun peut à la fois y trouver un moyen d’expression et d’affirmation de soi, et doit apprendre à interagir avec les autres, en laissant à chacun sa voix et son espace.
Les activités manuelles comme le jardinage et les sorties permettent non seulement de retrouver et de développer le rapport des jeunes à la terre, et aussi de susciter un intérêt pour les paysages et les cultures alentour par exemple, à l’occasion de visites d’exploitations locales. Ces découvertes et partages avec les exploitants agricoles locaux partenaires les ouvrent également à une sensibilisation aux questions environnementales et d’écologie.
Nous réalisons également divers travaux de rénovation dans la maison, dans lesquels les jeunes prennent part. C’est pour eux l’occasion d’échanger avec les artisans locaux et de découvrir concrètement différents métiers. Chaque artisan qui passe à la maison prend le temps d’expliquer sa profession, ce qu’il est venu faire aux jeunes, leur fait des démonstrations.
La découverte du patrimoine artistique, culinaire, local est l’occasion de les ouvrir à la diversité de la culture française et de leur donner un espace pour faire connaître leur propre culture, leurs pratiques. C’est le lieu d’essayer des choses, de se découvrir des passions nouvelles, de nouveaux goûts, et de permettre une construction riche de la personnalité.
Échanger pour se comprendre
Nous avons également l’ambition de favoriser une meilleure inclusion dans la société.
Nous sommes convaincus que les échanges et partages avec les habitants de Tourteron sont essentiels. Ils contribuent à la lutte contre l’exclusion et la stigmatisation. Mais il offre aussi aux jeunes un environnement partagé et humain, qui offre à chacun la possibilité de retrouver un certain ancrage et un élan pour avancer.
Les habitants ont beaucoup de connaissances et d’expérience à transmettre avec les jeunes, autant qu’ils ont à apprendre d’elleux. Il s’agit de rendre possible le tissage de liens, et par là de permettre aux jeunes de retrouver une humanité, que leur parcours a bafouée, à la fois avec les bénévoles, les autres jeunes et les habitant.e.s du village.
Après 4 ans de fonctionnement, nous pouvons dire que le pari du changement de regard envers les MNA et inversement des jeunes sur le territoire français est gagné ! Nous commençons à élargir nos horizons en organisant des olympiades avec les villages alentours, en participant à toutes les fêtes et foires voisines, partageant ainsi avec les habitant.e.s et édiles. Nous comptons d’ailleurs des volontaires de Tourteron.
La connaissance amène la tolérance, le vivre ensemble !